Comment raconter une bonne histoire ?

juin 08, 2023

Interview de Hervé Hadmar, scénariste et réalisateur

Comment raconter une bonne histoire, quels sont les secrets de fabrication des séries ? Explications d’un PRO de la narration, Hervé Hadmar, scénariste et réalisateur, à qui nous devons entres autres « Les Oubliés », « Pigalle, la nuit » ou encore « Notre Dame, la part du feu ». 


Bonjour Hervé, pour commencer, quel est votre parcours ? 

Depuis tout petit, mon rêve a toujours été de raconter des histoires. Je passais le plus clair de mon temps à dessiner et à laisser libre court à mon imagination, je ne savais faire que ça.


Je suis graphiste de formation, et ex-Directeur Artistique. Un jour, alors que je travaillais dans le monde de la publicité, un ami m’a offert l’opportunité de l’aider à la réalisation d’un court-métrage. J’avais la sensation que ce serait simple, je me trompais. Mais cela m’a ouvert le champ des possibles et a été déterminant pour mon avenir. Par la suite, j’ai collaboré à l’écriture et à la réalisation de plusieurs courts et longs-métrages, pas toujours réussis d’ailleurs mais qui ont forgé mon expérience. 😊


Même si j’ai toujours aimé les films, aujourd’hui c’est davantage la narration sérielle qui me passionne. Mon modèle de prédilection est la mini-série bouclée, celle dont l’intrigue se développe en 6 à 8 épisodes. C’est un exercice qui me fait invariablement sortir de ma zone de confort.


Par exemple, lorsque Canal + m’a proposé de créer une nouvelle série, je me trouvais dans le métro et je passais devant la station Pigalle. C’est alors que m’est venue l’idée d’écrire et de réaliser « Pigalle, la nuit ». Je ne connaissais rien à ce quartier de Paris, je partais de zéro, mais j’ai tout de suite su que cela offrirait une belle proposition d’humanité, de jolies promesses de personnages et de rencontres, dans une arène de jeu intéressante. Quels types de personnalités vont bien pouvoir se croiser, s’aimer, se trahir, se haïr… Tout restait à découvrir. 


Justement, comment est-ce qu’on crée une bonne histoire ?
Quel est le process de création ? 

Il y a autant de process de création qu’il y a de créations. Chaque scénariste, chaque réalisateur appréhende cette question à sa manière. Personnellement, et à l’image des communicants, j’essaye avant tout de sentir les grands mouvements de la société. Finalement, nous vivons une époque dans laquelle tout le monde finit par consommer les mêmes choses, par ressentir les mêmes choses, par regarder les mêmes films, etc. Aussi, il est important de garder les yeux ouverts et les oreilles attentives sur tout ce qui nous entoure.


De plus, une prospective est essentielle dans la réalisation de séries, puisqu’il nous faut anticiper la réalité de la date de diffusion, et non celle de la date de création. Et il n’est pas rare que plusieurs années s’écoulent entre celles-ci.


Le scénariste est avant tout un spectateur, qui doit s’imaginer en tant que tel. Il faut se demander quelle série on aurait envie de voir dans 3 ou 4 ans et avant tout faire preuve d’empathie. Et bien évidement, on n’écrit pas la même chose pour Netflix, Canal+ ou France Télévision. Chaque diffuseur a sa ligne éditoriale et ses propres préoccupations.


Avant d’entamer tout process de création, je m’imprègne d’un univers. Toujours concernant « Pigalle, la nuit », j’ai demandé à Canal + de me louer un appartement sur place, à Pigalle, pendant plusieurs mois, afin de vivre une immersion totale. J’ai fait des rencontres qui m’ont permis de saisir au mieux cette humanité qui m’avait a priori interpelé.



Et quel que soit le sujet, pour commencer ma réflexion, je me réfère à deux livres : « Le Dictionnaire des symboles » et « La Psychanalyse des contes de fées ». Les histoires que nous racontons doivent traiter du réel, de préoccupations universelles. Plus que jamais, il me semble que les gens ont besoin de se rassurer par le biais de réalités communes. C’est pourquoi, j’essaye toujours d’imaginer des personnages en perte de repères, qui grâce à leurs aventures vont remettre un pied dans le réel, et redonner du sens à leur vie. 


Quels sont les ingrédients indispensables d’une bonne histoire ? 

Il n’existe pas de recette miracle, et heureusement. Si chacun refaisait le même pot-au-feu que son voisin, le monde serait moins intéressant. Je préfère rajouter de la poire dans mon plat, c’est véridique, et que ça plaise ou non, c’est ma singularité. 😊

Il faut raconter de belles histoires, le monde en a besoin. Et je dirais que l’ingrédient indispensable pour parvenir à cela, c’est de créer de beaux personnages. On dit souvent que le cinéma est un art qui est devenu une industrie. Pour la série c’est l’inverse, cette industrie se mute en véritable art, elle est devenue un bien culturel. La série est en quelques sortes l’héritière de la littérature, dans un monde où malheureusement, les gens ont de moins en moins de temps pour lire.


La série, comme un bon livre, c’est le plaisir de rentrer chez soi le soir, pour investir une autre réalité et retrouver un univers et des personnages qu’on a quitté la veille. Finalement, c’est un processus de fidélisation, qui rassure le consommateur, une « madeleine de Proust ». De plus en plus, la série se regarde en solitaire, tandis que le cinéma est une expérience collective. Il n’est pas rare que des conjoints ne regardent pas la même série, où n’aient pas la même vitesse de visionnage. C’est peut-être dommage, mais c’est comme ça.



Comment faire pour captiver son audience ? Quelle place prend l’identification, dans la manière de raconter une histoire ? 

Dans l’écriture d’une série, c’est l’épisode pilote qui nécessite le plus de temps de réflexion et de travail, et davantage encore les premières minutes. Il faut montrer du réel, capter le plus vite et le plus intensément possible le public, sans jamais tomber dans l’artificiel. Il faut le faire entrer dans l’empathie en rendant les personnages emblématiques et leurs conflits puissants, le tout de manière extrêmement lisible. Cette équation est aussi complexe que passionnante. On ne peut jamais être sûr de rien, d’autant plus que la vérité d’aujourd’hui n’est jamais celle de demain.


Pour l’anecdote : parfois, capter l’attention peut s’avérer très simple. Il peut suffire d’une scène érotique pour faire gonfler les courbes d’audience. 😊


Comment anticiper le plus possible ce qu’il va se passer dans la tête du spectateur ? 


Même si chacun sa recette, il existe quand même quelques astuces, comme le « cliffhanger », de la fin d’un épisode, pour embarquer vers le suivant. Mais la réalisation est une science complexe. Ça fait 20 ans que je pratique ce métier et j’ai l’impression de commencer tout juste à bien le comprendre. 😊


Selon moi, être un bon narrateur nécessite de regarder d’autres séries, tant les succès que les échecs, afin d’en comprendre les raisons. Encore une fois, la recette miracle n’existe pas. Il faut savoir que la consommation des séries évolue très rapidement. Par exemple, aujourd’hui, de plus en plus de spectateurs regardent les épisodes en lecture accélérée, notamment dans les transports en commun. C’est un peu frustrant quand on pense que notre travail de réalisation s’arrête sur chaque microseconde. Mais, le spectateur est un consommateur et le consommateur a toujours raison.



Quant à moi, je ferais davantage l’éloge de la lenteur. Prendre son temps, c’est être sûr de soi, être efficace mais d’une manière singulière. Récemment, c’est la série « The Old Man », qui a réussi à me surprendre en cassant les codes de captation des premières minutes. Cette série d’action s’ouvre sur deux plans fixes consécutifs, qui montrent une chambre tandis que le protagoniste, visiblement en proie à des problèmes de vessie, doit se rendre aux toilettes. Cette mise en scène intrigue et attise la curiosité. C’est pourquoi, capter l’attention, ce n’est pas forcément aller le plus vite possible. 


Quelles sont vos sources d’inspiration ? Comment se renouveler quand on crée de la fiction ? 

Mes sources d’inspiration viennent de la vie. Quand je prends le métro, j’observe les gens, je scrute leurs visages et je me demande « tiens, quelle est l’histoire de cette personne ? », « Pourquoi se comporte-t-elle ainsi ? »


Au-delà des gens, ce sont les arts qui m’inspirent : la littérature, le cinéma, la musique… Les porosités sont partout. Récemment, j’ai joué au jeu vidéo qui a inspiré la série « The last of us », jeu dans lequel on suit successivement chaque personnage pendant de nombreuses heures, dans un monde apocalyptique de violence.



L’identification est si forte, que l’on s’imprègne du point de vue et des objectifs de chacun. Et quelle surprise, en changeant d’identification, de découvrir les histoires insoupçonnées des autres protagonistes. Le choc narratif est fascinant.


Il est important de se questionner sur la modernité de la narration, d’aller plus loin dans la recherche de nouveaux symboles narratifs. Aujourd’hui, les spectateurs sont de plus en plus intelligents en matière d’interaction. Alors, quelle sera la meilleure histoire de demain ? Tout ce que je sais, c’est qu’il faudra surprendre, tout en donnant du sens.


Avez-vous une dernière anecdote marquante à nous partager ? 

Il faut savoir que, lorsqu’on réalise une série, on a beau essayer de tout maitriser, de donner une impulsion claire et précise à des centaines de techniciens, on découvre véritablement ce qu’on a fait lors de la diffusion, autrement dit quand c’est trop tard.



Lors l’avant-première de la série « Pigalle, la nuit », au milieu de la diffusion d’un épisode, le public s’est levé et s’est mis à applaudir. Je ne m’y attendais absolument pas. Il est intéressant de comprendre à quel moment précis les spectateurs ont décidé, tous ensemble, d’aimer une série. 


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